Portrait de chercheur : Marie Laguardia
Jeune chercheuse en contrat post-doctoral pour le programme Jaussen & Savignac, Marie Laguardia a choisi pour discipline l’archéologie funéraire : portrait de chercheur.
Jeune chercheuse en contrat post-doctoral pour le programme Jaussen & Savignac, Marie Laguardia a choisi pour discipline l’archéologie funéraire. C’est une spécialité qui n’est pas toujours comprise et parfois même redoutée car elle nous confronte, sans détour, à notre propre finitude.
Petite, elle était fascinée par l’archéologie, mais au moment des choix, Marie s’oriente vers une licence des Sciences Biomédicales à l’université de Paris-Descartes (devenue depuis 2019, Paris Cité). C’est un parcours qui permet d’acquérir des connaissances en sciences de la vie, comprenant biochimie, biologie humaine (physiologie, génétique, neurobiologie, immunologie...), chimie, physique et neurosciences cognitives : elle se destinait ainsi à un travail en laboratoire.
Puis, au cours de cette formation, elle réalise que ce qui l’intéresse est de comprendre l’être humain dans toutes ses dimensions et s’ouvre alors aux sciences humaines. « J’avais besoin de plus de profondeur » explique-t-elle « et il me semblait essentiel d’aborder aussi la dimension historique des individus. J’ai alors choisi de me réorienter en Licence d’Histoire de l’Art-Archéologie, à Paris 1 Panthéon-Sorbonne où je suis rentrée, par équivalence, directement en 3e année, avec une dominante en archéologie ».
Dès le début, Marie Laguardia se passionne pour la période antique et le monde romain en particulier au Proche-Orient. Et, en définitive, cette attirance pour l’archéologie funéraire et l’anthropologie biologique –c’est-à-dire tout ce qui touche aux ossements, aux restes humains osseux qui permettent de déterminer l’âge, le sexe, les éventuelles pathologies etc. – se manifeste très rapidement : elle y trouve là, le moyen d’établir un lien entre ses connaissances en sciences biomédicales et l’histoire en redonnant ainsi une épaisseur humaine à des restes osseux et le récit d’une vie à des destins depuis longtemps oubliés. Pour approfondir cette voie professionnelle qui se dessine, Marie Laguardia se forme, en parallèle de l’archéologie, en anthropologie biologique grâce aux enseignements proposés par l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et par des stages effectués avec l’université de Bordeaux (laboratoire PACEA, De la Préhistoire à l’Actuel : Culture, Environnement et Anthropologie UMR 5199) et le Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris.
Programme Jaussen & Savignac – Ensuite, vous vous confrontez à la réalité de terrain ?
Marie Laguardia – Oui, en 2016, dès la première année de master en Archéologie, j’ai eu la possibilité de partir sur le terrain avec la mission archéologique franco-libanaise d’Ej-Jaouzé (Metn, Liban) dont Lina Nacouzi (Institut français du Proche-Orient - Ifpo) et Dominique Pieri (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) assurent la co-direction (mission soutenue par l’Ifpo et la commission des fouilles du MEAE). Et, cette année-là, les fouilles ont révélé l’existence d’une tombe inviolée : Dominique Pieri et Lina Nacouzi me font confiance et me confient l’étude de cette tombe. Ce sera ma première expérience de fouille d’une tombe collective et d’étude des restes osseux humains. C’est d’ailleurs sur cette découverte que porte mon mémoire de master 2 effectué sous la direction de François Villeneuve : « Pratiques funéraires de la montagne libanaise à partir de l’exemple de la tombe collective d’Ej-Jaouzé ».
Dans le courant de cette seconde année de Master, François Villeneuve me parle de la mission archéologique de Thāj (en Arabie saoudite) codirigée par Jérôme Rohmer (CNRS) et Ibrahim al-Mshabi (Saudi Commission for Tourism and National Heritage). Ils cherchaient quelqu’un pour l’étude de la nécropole de cette immense ville caravanière comportant un espace funéraire de plus de 1000 tumuli. J’avais envie de continuer en doctorat et l’étude de la nécropole de Thāj correspondait exactement à ma spécialité, sur la période et l’aire géographique qui m’intéressaient. Après ma rencontre avec Jérôme Rohmer, mon projet se concrétise et j’obtiens un contrat doctoral à Paris 1 Panthéon-Sorbonne avec comme sujet de thèse « Pratiques funéraires en Arabie du nord-est : la nécropole de Thāj de l’âge du Fer à l’Antiquité tardive ». Je soutiens ma thèse en 2022 et l’année dernière j’ai décroché un contrat post-doctoral avec le programme Jaussen & Savignac pour continuer à développer mes recherches dans la région.
PJ&S – Expliquez-nous en quoi consiste l’archéologie funéraire ?
M. L. – L’archéologie funéraire permet de comprendre les vivants en étudiant les morts. On analyse les restes osseux des populations anciennes, bien sûr, mais aussi les façons d’inhumer : l’architecture des tombes, la position des corps, le mobilier déposé près des défunts et toute la symbolique qui lui est rattachée. Tout cela permet de comprendre l’idéologie de ces populations et de définir les différents statuts sociaux qui composent ces sociétés anciennes ainsi que toutes les influences culturelles à travers les échanges commerciaux, etc. Ce qui rend la nécropole de Thāj si intéressante est son ampleur : le corpus est vaste et permet d’affiner notre compréhension sur la vie des populations d’Arabie, et sur la façon dont elles percevaient la mort. Et d’un point de vue biologique, l’étude des ossements permet de caractériser le profil des individus et nous interroger sur leur relation : y-a-t-il des différences entre hommes et femmes, entre adultes et enfants ? A Thāj justement, on a fouillé des tombeaux où l’on trouve des fœtus (bébés morts en couche) à côté de sépultures d’adultes. Ce qui nous amène à penser que, dans cette société, à une certaine époque, toutes les classes d’âge ont accès à une sépulture, ce qui n’est pas forcément en usage dans d’autres régions du monde antique.
Les études anthropologiques permettent aussi la mise en évidence de l’alimentation, des marqueurs d’activité sur les os on retrouve des marques comme l’usure, les fractures, etc. qui peuvent orienter, par exemple, vers des métiers exercés. Dans cette région du monde, on en est encore au début de ce que l’on peut découvrir de ces populations durant l’Antiquité.
PJ&S – Que répondez-vous à ceux qui ne sont pas à l’aise avec l’archéologie funéraire et l’idée qu’on puisse venir remuer des ossements pour les étudier ?
M. L. – Pour moi, l’archéologie funéraire est une manière de rendre hommage à ces personnes oubliées depuis des siècles et que l’on redécouvre : on leur redonne ainsi une voix et elles nous apprennent beaucoup. En outre, on manipule ces ossements humains avec beaucoup d’attention, beaucoup de respect et aussi beaucoup de gratitude pour ce qu’ils nous livrent. Alors étudier ces sépultures, c’est aussi une façon de les protéger et d’empêcher qu’elles ne soient détruites et disparaissent à jamais, d’autant qu’ au fil des siècles, elles font l’objet de beaucoup de pillages et de destructions (notamment avec l’urbanisation qui prend de l’ampleur).
PJ&S – Si vous relisez votre parcours, quels ont été les ingrédients de votre réussite ?
M. L. – J’ai eu beaucoup chance. Les choses se sont très bien enchaînées et je me suis sentie portée par la confiance qui m’a été accordée, que ce soit par François Villeneuve pour ma thèse, et par Jérôme Rohmer pour l’étude de la nécropole de Thāj qui ont constitué pour moi des expériences majeures. Durant la thèse j’ai été encadrée par des chercheurs qui m’ont énormément appris, je pense en particulier à Olivia Munoz (CNRS) avec qui j’ai participé à des missions de prospection et de fouilles en Oman, à Patrice Courtaud (CNRS) qui m’a formée aux paléopathologies et à Lidewijde De Jong, co-directrice de ma thèse (Université de Groningen) qui m’a encouragée à développer les aspects méthodologiques de ma recherche. Pour étudier la nécropole de Thāj dans sa globalité, j’ai choisi d’avoir une approche pluridisciplinaire afin de traiter des données très diverses : de l’analyse spatiale des tombeaux avec un SIG, à leur étude architecturale, jusqu’aux dépôts humains découverts dans les sépultures. Cette analyse à différentes échelles m’a permis de développer des compétences variées et, aujourd’hui, de pouvoir les mettre à profit pour d’autres projets.
PJ&S – Aujourd’hui vous êtes une jeune docteure et vous partez sur le terrain en tant que co-directrice de la deuxième campagne archéologique franco-saoudienne de Thāj?
M. L. – Juste après avoir soutenu ma thèse, j’ai eu, en effet, l’opportunité de monter un nouveau programme de recherche franco-saoudien à la suite de la mission de Jérôme Rohmer, sous l’égide de la Heritage Commission et du CNRS (UMR 7041 ArScAn-OrAM) pour poursuivre l’étude de cette nécropole durant les 4 prochaines années (soutenu par la commission des fouilles du MEAE). Nous étions d’ailleurs deux femmes à co-diriger la première campagne : Norah Al-Qahtani (de la Saudi Heritage Commission) et moi-même.
Avec plus de 1000 ans d’occupation dont les premières traces datent du VIIIe siècle avant notre ère, cette nécropole mérite qu’on lui consacre encore du temps et des recherches pour lui permettre de nous livrer des informations plus fines relatives à sa chronologie ainsi qu’à la succession des pratiques funéraires au fil des siècles. Ce travail de terrain rentre dans mon projet de recherche sur les dynamiques de peuplement de la péninsule Arabique à partir de l’étude socio-culturelle et biologique des populations.
PJ&S – Quels conseils donneriez-vous aux étudiants qui veulent se lancer dans cette spécialité de l’archéologie funéraire ?
M. L. – Je dirais qu’il ne faut pas hésiter à se former : ce n’est pas parce que l’on suit des études en archéologie qu’il ne faut pas explorer d’autres disciplines connexes qui touchent à l’humain. En se diversifiant, on a souvent de bonnes idées et de nouvelles méthodes qu’on peut appliquer à nos recherches. Cela permet aussi de faire des rencontres qui peuvent se transformer en opportunités. Le deuxième conseil que je peux donner est de faire du terrain : c’est là qu’on apprend énormément et pas uniquement des techniques. On y croise beaucoup de spécialistes et cela donne une expérience de ce qu’est la recherche pluridisciplinaire et collaborative. Ce n’est en effet, pas en restant tout seul que l’on comprend un terrain mais à plusieurs : en cela, l’archéologie est un vrai travail d’intelligence collective.
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