
Portrait de chercheur : Vladimir Dabrowski
Vladimir Dabrowski, jeune postdoctorant du programme Jaussen & Savignac est recruté par le CNRS : PORTRAIT
Vladimir Dabrowski, chercheur en archéobotanique (archéologie environnementale) a intégré le Centre archéologique Jaussen & Savignac en février 2025, avec un contrat postdoctoral pour travailler sur l’une des 6 thématiques du programme de recherche Jaussen & Savignac portant sur le patrimoine environnemental. Il est depuis recruté au CNRS et nous avons souhaité mettre en lumière le parcours de ce jeune scientifique, porteur de recherches innovantes et prometteuses.
Programme J&S – À l’aube de votre cursus universitaire, qu’est-ce qui vous a amené à vous spécialiser en archéobotanique ?
Vladimir Dabrowski – Au fil des années d mes années à l’Université, j’ai développé un goût pour l’archéologie environnementale dont l’enseignement est proposé à Paris 1 Panthéon-Sorbonne depuis 2005, car ce que je trouve intéressant en archéologie, c’est particulièrement son interface entre les Sciences Humaines et Sociales et les Sciences exactes et naturelles. Et dans le cadre de cette spécialité, l’archéobotanique (étude des restes végétaux trouvés sur les sites archéologiques) m’a particulièrement intéressée car elle me permettait de travailler en premier lieu sur la thématique de l’alimentation. Cette dernière a, tout d’abord, une grande place dans ma culture familiale et elle est aussi au cœur de ce qui m’intéresse depuis longtemps maintenant : l’alimentation et l’agriculture en tant que patrimoine culturel mais également ce qu’elles comportent d’enjeux climatique et environnemental.
P J&S – Pouvez-vous nous présenter votre parcours et la raison de votre intérêt pour l’archéobotanique et la péninsule Arabique en particulier ?
V. D. – Cet intérêt s’est manifesté très tôt dans mon parcours. Étudiant en Master d’archéologie environnementale à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, c’est grâce à la rencontre avec Margareta Tengberg, à l’époque maître de conférences en archéobotanique à Paris 1, que j’ai travaillé sur la zone géographique de la péninsule arabique. Elle m’avait alors proposé de travailler sur un sujet de recherche portant sur les restes carpologiques (graines et fruits) et anthracologiques (charbons de bois) d’un bâtiment incendié à Mleiha aux Emirats Arabes Unis que j’ai décidé d’accepter. En raison de l’intérêt suscité par mes premiers résultats sur le commerce de produits exotiques, j’ai alors poursuivi mes recherches doctorales sur l’approvisionnement des sociétés de l’Arabie orientale en ressources végétales par l’archéobotanique et l’archéoentomologie dirigée par Margareta Tengberg, devenue entre-temps professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle, et Jean-Pierre Van Staevel, professeur des Universités à Paris 1.
Après avoir soutenu ma thèse en 2019, j’ai été recruté comme postdoctorant sur deux projets de recherches consécutifs portant sur l’oasis d’Al-Ula en Arabie Saoudite et financés par l'Agence Française pour le développement d'ALULA (AFALULA) en partenariat avec la Royal Commission for AlUla (RCU) : le projet ECO-Seed (dir. Charlène Bouchaud), puis le projet ArcAgr-AU (dir. Louise Purdue). Ces deux projets visent à restituer les dynamiques agricoles et environnementales de l’oasis d’al-Ula en déterminant l’effet des changements environnementaux, climatiques et socio-économiques. A cette occasion, je me suis d’ailleurs formé à l’analyse des phytolithes, des opales de silice microscopiques présentes dans les tissus des plantes issus de paléosols agricoles et de dépôts naturels. Leur étude nous apporte des informations sur la composition et l’organisation spatiale des espaces oasiens (répartition des cultures, type de productions agricoles, etc.)
Après ces recherches sur l’oasis d’Al-Ula, j’ai obtenu un nouveau contrat de recherche avec le LabEx DynamiTe au sein du Laboratoire de Géographie Physique (LGP), sous la supervision d’Aline Garnier. J’ai alors travaillé plus particulièrement sur la ville caravanière de Thaj en Arabie Saoudite, la première agglomération urbaine de l’Arabie orientale avant l’Islam, en cherchant à déterminer comment se faisait l’approvisionnement d’une ville antique en plein désert, et en particulier comment soutenir son accroissement démographique, dans un environnement aux ressources a priori limitées.
À l’issue de ce projet, le programme Jaussen & Savignac lançait un appel à candidatures et j’ai pu ainsi poursuivre mes travaux en archéobotanique sur la partie orientale de la péninsule Arabique entre la fin de l’Antiquité et le début de la période islamique
P J&S – Depuis huit mois, vous étiez donc en contrat postdoctoral du programme Jaussen & Savignac. Pouvez-vous nous dire ce qui vous a poussé à intégrer ce programme, en particulier ?
V.D. – J’y ai vu une opportunité de travailler dans de bonnes conditions matérielles et humaines au sein d’un environnement de recherche dynamique, stimulant et porteur. En outre, mon projet entrait parfaitement dans l’une des thématiques du programme « Patrimoine environnemental : paysage d’oasis ». Depuis un an, je m’interroge donc, au moyen d’approches archéobotaniques multi-proxy sur la réalité matérielle de la Révolution Agricole Islamique pour les paysages oasiens de l’Arabie Orientale, une région qui reste à l’heure actuelle sous-documentée pour cette période.

P J&S – Vous avez été recruté au CNRS pour poursuivre ce travail sur les interactions entre sociétés et environnements ?
V. D. – En effet, je propose un projet de recherche sur l’adaptation des sociétés antiques et médiévales aux milieux arides de l’Arabie orientale dans un contexte de globalisation des échanges. Pour mener à bien ce projet, je propose une approche multi-proxy originale et innovante prenant en compte les restes archéobotaniques (graines/fruits, charbons de bois, bois sec, phytolithes) et archéoentomologiques (insectes).
P J&S – La nécessité de préserver l’environnement et d’affronter les défis du changement climatique sont des sujets prégnants aujourd’hui. Alors, Vladimir, les sociétés antiques et médiévales peuvent-elles être sources d’enseignement, alors que nous vivons cette crise climatique profonde ?
V. D. – En effet, ces environnements sont très intéressants à étudier aux périodes historiques pour comprendre l’adaptation climatique à l’aridité des sociétés pour l’acquisition des produits végétaux. Or, nous observons que les sociétés antiques recherchent au quotidien à optimiser au maximum les ressources à disposition. Par exemple, on s’aperçoit que les résidus de récoltes ou le fumier sont réutilisés comme combustible de façon très courante. Si cet usage persiste aujourd’hui de manière bien plus limitée, il était bien plus systématique dans les sociétés antiques et médiévales. En ce qui concerne la gestion des oasis, mon projet de recherche montre que l’adaptation de nouvelles plantes au sein des oasis pourrait répondre à des épisodes de crise climatique, comme la sécheresse, ou à des mouvements démographiques d’ampleur.
P J&S – Mais alors, est-ce que ces sociétés antiques pratiquaient la permaculture ?
V. D. – Je ne sais pas si nous pouvons parler de permaculture pour ces époques historiques, mais l’analyse de la biodiversité cultivée de ces sociétés anciennes nous renseigne sur leur façon de pratiquer la complémentarité et l’association de plusieurs espèces dans le cadre d’une gestion raisonnée des paysages oasiens.
L’archéobotanique est une discipline au croisement des Sciences Humaines et Naturelles et elle peut nous apprendre beaucoup sur de nombreux aspects de l’économie végétales des sociétés anciennes comme l’alimentation, l’agriculture, l’artisanat, le commerce, l’environnement, les pratiques funéraires et rituelles…