
Portrait de chercheur : Pauline Piraud-Fournet
Pauline PIRAUD-FOURNET, co-directrice, avec Abdullah Basonbol, de la mission archéologique de Hegra (HAP), hébergée par le programme Jaussen & Savignac : PORTRAIT
Pauline Piraud-Fournet, architecte diplômée et docteure en archéologie co-dirige la mission archéologique de Hegra, en Arabie Saoudite, avec avec Abdullah Basonbol, professeur à la King Saud University, à la suite de Leïla Nehmé (CNRS).
Cette mission archéologique est hébergée par le centre de recherche Jaussen & Savignac et soutenue par The Royal Commission for AlUla (RCU) et l’Agence Française pour le développement d’AlUla (AFALULA).
Nous vous proposons de découvrir cette architecte-archéologue au profil complet et au parcours riche et peu commun.
Programme J&S – Pouvez-vous nous parler de votre parcours un peu atypique ?
Pauline Piraud-Fournet – Oui, bien sûr et d’ailleurs je crois que parler de son parcours, c’est une façon de donner des idées et d’aider les étudiants qui se posent des questions sur leur projet professionnel.
Depuis toute jeune, j’ai toujours été intéressée par l’archéologie. Lycéenne, j’ai fait des stages sur des chantiers de restauration, et l’été de mon baccalauréat, j’ai eu la chance de participer aux fouilles menées sur un site nabatéen en Jordanie, à Dharih, au sein d’une mission dirigée par Pr François Villeneuve de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et l’Institut français du Proche-Orient. Cette expérience a été vraiment fondatrice : elle m’a permis de confirmer ce choix professionnel autant qu’elle a été pour moi une formidable occasion de rencontrer des chercheurs et archéologues aguerris qui m’ont proposé, les années suivantes, de participer à d’autres chantiers (Beyrouth, Bosra puis dans d’autres régions, au Pakistan, en Tunisie, en Égypte).
Entre temps j’ai commencé mon cursus universitaire, en Histoire de l’art, à Sorbonne Université (à l’époque, Paris IV) et, en parallèle, je poursuivais mon apprentissage technique sur les chantiers archéologiques mentionnés, avec des chercheurs de Paris 1 Panthéon-Sorbonne ou du CNRS. Cette double formation, Histoire de l’art et travail de terrain, m’a permis de découvrir très tôt la grande diversité des métiers de l’archéologie et d’orienter mon choix, très rapidement, vers l’étude de l’architecture. Après avoir soutenu ma maîtrise (ce qu’on appelle Master aujourd’hui) sur la transformation des sanctuaires païens du Proche-Orient en églises à l’époque protobyzantine, j’ai poursuivi mon cursus en intégrant l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville en 1996, où j’ai pu me former, entre autres, au dessin. Deux ans plus tard, j’ai eu l’occasion de partir vivre en Syrie, j’ai alors interrompu mes études d’architecture et me suis inscrite en DEA, à Paris IV, que j’ai réalisé depuis Damas – cela correspond à une année de Master 2 aujourd’hui (à l’époque, nous avions moins de cours, mais un travail de recherches plus conséquent). J’ai consacré ce DEA à l’architecture de la fin de l’Antiquité à Bosra. Quelques années après, rentrée en France, j’ai repris mes études d’architecture jusqu’à soutenir mon diplôme. J’ai alors candidaté, avec succès, à un poste de chercheur architecte-archéologue à l’Ifpo de Damas. Durant plus de 10 ans, j’ai eu la chance de travailler sur de nombreux chantiers archéologiques partout en Syrie tout en entamant une thèse sur l’architecture domestique et l’urbanisme de Bosra à la fin de l’antiquité, à Sorbonne Université (Paris IV), sous la direction du professeur François Baratte, thèse soutenue en 2016.
Munie de ce doctorat, j’ai obtenu un contrat de recherche de deux ans à l’American Center of Oriental Research (ACOR) à Amman, en Jordanie, pour lequel j’avais la charge d’analyser les archives de 40 ans de fouilles menées au XXe s. sur un temple nabatéen de Pétra, de repérer les thématiques de recherches à développer et de préparer le plan de publication. J’ai obtenu ensuite un contrat « Marie Skłodowska Curie Actions », à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et au sein de l’équipe OrAM d’ArScan-CNRS, avec un financement de la Commission européenne. Mon nouveau programme de recherche visait à mettre en évidence par l’archéologie les établissements de l’assistance publique au Proche Orient à la fin de l’Antiquité. Ce programme a donné lieu à des missions de fouilles et de prospections, à un colloque et à la publication d’un ouvrage (Charity, Relief and Humanitarianism in the Middle East, by Falestin Naïli, Valentina Napolitano and Pauline Piraud-Fournet).
J’aime à dire aux étudiants que notre formation en sciences humaines et sociales nous apprend à mener des enquêtes et à les restituer, et que cette méthode nous pouvons l’exploiter dans des domaines plus variés que la seule archéologie. J’ai eu l’occasion, pendant et après la réalisation de ma thèse, de participer à un programme de recherche en sociologie-ethnologie, mais aussi de mener des enquêtes dans le domaine socio-judiciaire.
Vers 2022, j’ai eu l’occasion d’étendre ma zone de recherche à l’Arabie Saoudite, en dirigeant une mission archéologique dans la région du Wadi Sirhan, pour le compte de la Heritage Commission (HC) saoudienne et l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Donc tout naturellement, lorsque le programme Jaussen & Savignac a été mis sur pied, j’ai proposé ma candidature qui a été acceptée pour co-diriger la mission archéologique de Hégra (Hegra Archaeological Project – HAP)
P J&S – Quel parcours passionnant ! Êtes-vous spécialiste d’une époque et d’une zone géographique en particulier ?
P. P.-F. – J’ai beaucoup travaillé sur l’architecture des époques nabatéenne, romaine et de la fin de l’Antiquité jusqu’à l’époque de la conquête islamique, à Bosra, dans la région du Hauran partagée entre la Syrie du sud et la Jordanie, à Pétra, une vaste région qui a une identité architecturale assez caractérisée, qu’elle soit en basalte ou en calcaire.
Toute cette région faisait partie du royaume Nabatéen ; Damas étant située à la limite Nord du royaume à son extension maximale, au 1er s. avant J.-C. En prenant la co-direction de ce chantier archéologique à Hégra, je retrouve donc avec plaisir cette période nabatéenne qui m’est familière, tout en ayant beaucoup à découvrir de l’Arabie Saoudite, notamment, pour les périodes plus anciennes que je n’avais jusqu’à présent pas l’habitude de côtoyer. C’est un beau défi pour moi. Par ailleurs, pouvoir mener cette mission dans le cadre de ce partenariat scientifique franco-saoudien est une formidable opportunité puisque nous bénéficions, grâce à la Royal Commission for AlUla (RCU), d’outils de récolte des données ou d’analyses pointus (GIS, DNA, isotopy, etc.), et pouvons, grâce aux collaborations universitaires (Paris 1, King Saud University, etc.) former la prochaine génération d’archéologues.
P J&S – Au fil de votre évolution professionnelle, vous avez traversé deux systèmes universitaires différents, travaillé avec plusieurs institutions universitaires ou autres. Comment voyez-vous évoluer votre métier d’architecte-archéologue ?
P. P.-F. – Il me semble que ces dernières décennies, l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne a été très à la pointe pour développer de nouvelles techniques en archéologie, en particulier, avec l’archéologie du paysage et des disciplines nouvelles comme l’archéozoologie, l’archéobotanique, et beaucoup d’autres domaines, pour développer notre connaissance de sociétés anciennes. Ces techniques sont formidables et ont permis des découvertes incroyables, reconstituer des paysages antiques, l’économie, les modes de subsistance, des rites cultuels et funéraires, identifier des tabous, etc.
Peut-être que le revers de la médaille a été la mise de côté de techniques archéologiques plus traditionnelles qui ont prévalu aux XIXe et XXe siècles, à une époque où les principales ressources que l’on savait exploiter était la statuaire, les monnaies, la céramique et les plus visibles et les plus monumentaux souvent, les vestiges architecturaux. Avec l’apparition des nouvelles technologies comme le scan 3D, la photogrammétrie, notamment, on enregistre souvent les données en pensant les étudier plus tard. Or, l’architecture, comme pour les autres vestiges matériels, ne peut pas se passer du dessin et de la description fine faite sur le terrain, qui permettent de filtrer et classer les informations, de les hiérarchiser et de les analyser. Les nouvelles technologies nous font gagner un temps précieux en nous offrant rapidement un appui solide à partir duquel on doit réaliser sur le terrain la collecter et le tri des informations livrées par les vestiges. Mais bien sûr, elles ne peuvent pas se substituer au chercheur pour le travail d’analyse et de comparaisons, qui permettent leur reconstitution.
