
Portrait de chercheur : Hervé Monchot
Découvrez cette semaine le parcours de Hervé Monchot, archéozoologue et directeur du projet AZAP « Archaeozoological for AlUla Project » : portrait
Hervé Monchot, archéozoologue, docteur en géologie du Quaternaire porte, durant 2 ans et dans le cadre du programme Jaussen & Savignac, le projet AZAP (Archéozoologie pour AlUla). Ce projet, financé par l’Agence française pour le développement d’AlUla (Afalula) au nom de la Royal Commission for AlUla (RCU) est un programme de recherche dédié à l’archéozoologie de la région d’AlUla en Arabie saoudite.
Programme Jaussen & Savignac – Hervé, pourquoi avoir choisi cette spécialité d’archéozoologie ou, comme l’appellent les anglophones, la zooarchéologie ?
Hervé Monchot – Au début de mon cursus universitaire, je voulais être paléoanthropologue. En effet, j’étais fasciné par la paléontologie, l’évolution des espèces à travers les temps, et la formidable adaptation de la vie aux conditions extérieures. Mon cursus universitaire a débuté par une formation de naturaliste à l’université de Reims Champagne-Ardenne qui comprend des matières telles que la biologie, la botanique, la zoologie et la géologie. Or en géologie, dans les années 90, on étudiait la préhistoire et son corollaire, l’évolution humaine.
J’ai ainsi intégré en 1990 le DEA en « géologie du Quaternaire » de l’Institut de paléontologie Humaine à Paris. Ce qui me passionnait dans cette discipline était de comprendre la place de l’Homme dans son environnement : comprendre les mondes anciens dans lequel l’Homme pouvait (sur)vivre et tout ce qui pouvait favoriser sa subsistance ; comprendre enfin comment se plaçaient les Hominidés dans des écosystèmes où ils étaient alors plutôt chassés que chasseurs. C’est au sein de cette discipline que j’ai acquis toutes les bases de l’archéozoologie (avec une formation à l’anatomie comparée) et mes connaissances en préhistoire.
Au moment du choix de mon sujet de thèse, le professeur Henry de Lumley m’a proposé d’orienter mes recherches sur les ossements animaux du site de Tautavel (Pyrénées-Orientales), alors que les fossiles humains y avaient déjà été largement étudiés. Étudier les restes fauniques (os, dents, cornes, etc.), permet, en effet, de mieux comprendre le mode de vie les groupes humains via la subsistance et les relations qu’ils entretenaient avec le monde animal. J’ai accepté avec enthousiasme ce projet, qui représente le début de mon évolution professionnelle.
P J & S – Après cette première orientation, qu’en est-il de votre parcours de recherches ?
H. M. – En 1996, j’ai soutenu mon doctorat en géologie du Quaternaire à l’Université de la Méditerranée à Marseille en collaboration avec le département de préhistoire du Muséum national d’Histoire naturelle (Institut de Paléontologie humaine). Mon travail de thèse a porté sur les petits bovidés du célèbre site préhistorique de Tautavel dans les Pyrénées-Orientales, avec pour directeur de recherches le professeur Henry de Lumley. Il est bon de se rappeler qu’à l’époque les chercheurs se spécialisant en archéozoologie travaillaient sur un taxon en particulier, une époque, voire une aire géographique donnée.
Après l’obtention de mon doctorat, j’ai décroché plusieurs contrats post-doctoraux auprès de l’Union Européenne pour travailler sur du matériel osseux paléolithiques en Italie et en Espagne. Puis, en 1998, j’ai obtenu une bourse de la Fondation Fyssen pour l’étude du matériel osseux inédit du site du paléolithique inférieur d’Holon en Israël à l’Université hébraïque de Jérusalem, dans le laboratoire d’Ecologie, de systématiques et d’évolution. Cette étude marque mes débuts au Proche-Orient.
Par la suite, ce même laboratoire m’a confié l’étude de la faune de plusieurs sites, encore non étudiés et publiés à l’époque, comme la grotte Geula (Mont Carmel, Israël). C’est à ce moment-là que je me suis familiarisé avec les faunes des sites anciens du Levant.
P J & S – Votre expérience est très riche et internationale : comment en êtes-vous arrivé là ?
H. M. –Les publications et les conférences que j’ai données sur le sujet m’ont permis de rencontrer des collègues de différents pays. Et au hasard de ces communications, j’ai rencontré à nouveau des chercheurs qui allaient infléchir ma vie professionnelle : je crois que la vie est souvent faite de ces rencontres qui vous marquent et de ces personnes qui, en vous faisant confiance, vous donnent un allant et un goût pour des spécialités que vous n’auriez pas pensé étudier au départ. C’est pourquoi je conseille toujours aux étudiants de rester ouverts d’esprit au fil d’une carrière. Ma rencontre avec Guillaume Charloux en 2005 en est un bon exemple. Il fouillait alors le parvis du temple d’Opet à Karnak (Egypte) et m’a proposé de venir étudier les restes de moutons et chèvres sur ce site mythique : c’est sur ce terrain que j’ai fait mes premiers pas dans la sphère des époques antiques et plus récentes. Cela a été, pour moi, un moment extraordinaire avec de nouveaux challenges, car j’ai dû monter en compétences sur ces nouveaux sujets que je n’avais pas abordés en formation initiale.
Par la suite, j’ai enchaîné différents contrats qui m’ont conduit à Djibouti, en Iran, en Arménie et surtout au Canada.
P J & S – Au Canada ? Vous vous retrouvez aux antipodes de vos recherches précédentes alors ?
H. M. – En 2007, j’ai effectivement candidaté à un appel d’offre et décroché un contrat de 4 ans à Montréal avec l’Institut culturel Avataq, qui m’a chargé de nombreuses études archéozoologiques du territoire des Inuits du Québec (Nuvavik). J’ai participé ainsi à trois missions dans le Grand Nord : c’est fascinant de voir que ces sites datés de 2000 ans, c’est-à-dire autour de notre ère, sont tournés vers le monde animal, mais sans espèces domestiques pour survivre. C’est un mode de vie très proche de ce que nous pouvons observer chez nous... à l’époque de la préhistoire. J’ai donc énormément appris sur la capacité de subsistance des êtres humains et leur adaptation dans un monde rude et hostile.
La fin de cette mission très particulière dans mon parcours professionnel a coïncidé, avec la création en France des laboratoires d’excellence (les LabEx). Avec l’appui de Guillaume Charloux, j’ai intégré pour deux ans le Laboratoire d’excellence « Religions et Sociétés dans le Monde Méditerranéen » (RESMED) basé au sein de l’UMR 8167 « Orient et Méditerranée ». Ce projet d’étude comprenait quatre sites majeurs : Khirbet es-Samra (Jordanie), al-Kharj, ancienne al-Yamâma, et Dumat al-Jandal (Arabie saoudite) ainsi que le sanctuaire de Saint-Siméon (Syrie). Je suis parti fouiller en péninsule arabique le surlendemain de mon retour dans l’hexagone et quels changements : quitter le désert froid de l’arctique pour rejoindre celui, rude et chaud, de la péninsule Arabique !!
P J & S – Et c’est à partir de ce moment-là que vous concentrez vos recherches dans les pays Levant ?
H. M. – Parallèlement à cela, après de longues discussions passionnantes, Jean-Baptiste Humbert, célèbre archéologue dominicain rencontré auparavant pour l’étude de Samra, m’a confié l’étude de toutes les collections ostéologiques issues des fouilles de l’Ecole Biblique et archéologique de Jérusalem (telles que celles de Gaza, Jérusalem ou Amman). Cette recherche m’a ainsi conduit à passer de nombreux étés, pendant près de 10 ans, en Jordanie et en Palestine. Si les études sont quasiment terminées aujourd’hui, la publication de ce travail d’une telle ampleur n’est pas encore achevée.
Durant, l’un de ces séjours, en 2013, j’ai fait la connaissance de François Villeneuve, professeur d’archéologie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Nous nous sommes bien entendus et François m’a confié l’étude du matériel osseux de Dharih (Jordanie). A partir de cette époque tout s’est enchaîné rapidement : j’ai été sollicité sur de nombreux chantiers et collaboré à de nombreuses missions à travers tout le Moyen Orient, mais aussi en Asie centrale, comme à Pétra (Jordanie), Qalhât (Oman), Failaka (Koweït), Banbhore (Pakistan), sans oublier Kaboul en Afghanistan en 2017 et 2018.
P J & S – Et ce projet AZAP, comment est-il né ?
H. M. – Lors d’une mission à l’Université de Yarmouk, en Jordanie, où j’étudiais les ossements de Dharih, j’ai rencontré Jérôme Rohmer, venu étudier une partie de la céramique du même site pour François Villeneuve. Jérôme qui était en charge des fouilles de Thaj en Arabie saoudite, m’a expliqué qu’il avait un nouveau projet dans le nord de l’Arabie et qu’il penserait à moi pour l’étude des restes osseux. C’est ainsi qu’en 2020, après la crise du Covid, Jérôme m’a confié le matériel de Dadan à AlUla.
Et puis, au cours d’une conférence à AFALULA à Paris, j’ai rencontré Ingrid Périssé-Valéro qui, avec Jérôme Rohmer, m’a alors parlé de l’idée d’un projet de recherches dédié spécifiquement à l’archéozoologie à AlUla. Après plus d’un an de maturation, celui-ci a abouti à la création d’AZAP que je dirige actuellement, et qui est intégré pleinement au programme de formation et de recherches Jaussen & Savignac de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
P J & S – Et pour conclure cet entretien, pouvez-vous nous dire en quoi, d'après-vous, les études archéozoologiques peuvent-elles être sources d’enseignement pour nos contemporains ?
H. M. – Les comportements humains relatifs aux modes de subsistance et la façon dont les groupes humains se nourrissent sont des questions essentielles qui traversent les siècles. Et la question du rapport à l’animal et les questions qui se posent aujourd’hui sont très nouvelles… : « Dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu es » pour reprendre l’aphorisme de Brillat-Savarin (1755-1826). En réalité, dans les sociétés préhistoriques, on ne se pose pas ce genre de questions : il faut manger pour survivre. Dès l’âge du bronze et durant 2000 ans, en Arabie, on mange toujours la même chose : le régime carné de base est composé de mouton, de chèvre, de dromadaire, ainsi que de poisson si on vit près des côtes. C’est seulement dans les années 50, avec la mise en place de grandes politiques agricoles, l’électrification des routes et des villages et le développement du commerce international, qui font provenir des marchandises de l’autre bout du monde, que les habitudes alimentaires ont été bouleversées. Travailler sur cet aspect de l’alimentation touche à notre identité et à ce qui fait notre vie de tous les jours : l’archéozoologie apporte des preuves directes du quotidien humain, de la nourriture et des pratiques rituelles qui y sont attachées également.
Dans le fond, je travaille sur le vivant : quels que soient les ossements d’animaux, ils nous parlent de l’être l’humain, de sa place dans les écosystèmes, de son habitat, de sa façon de vivre, de ses pratiques alimentaires et aussi de son évolution… et c’est cela que je trouve passionnant.
Thèmes de recherches de Hervé Monchot
Sa bibliographie
